« Un réel besoin d’espaces de reconnaissance et de gratification, en marge du parcours d’accueil, pour assurer une inclusion durable des personnes primo-arrivantes en Belgique et pour favoriser la cohésion sociale. »

L’ensemble du processus et des résultats de recherche du projet CAMIM sont documentés dans l’article disponible ci-dessous.

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Pour un rapide aperçu, en voici un résumé :

Contexte de la recherche

Bouleversés par l’augmentation des arrivées de personnes migrantes en 2015, l’ensemble des pays européens ont été traversés par des questions et défis d’ordre à la fois éthique, politique et économique en matière d’enjeux migratoires. A cet égard, le système d’accueil bruxellois a été rudement mis à l’épreuve, et des questions plus larges liées aux capacités des villes à absorber ces arrivées tout en assurant la cohésion sociale ont été mises sur le devant de la scène. Malgré l’existence d’un tissu associatif bruxellois dense en matière d’aide aux personnes migrantes, et la mise en place du parcours d’accueil bruxellois en 2016, l’inclusion à long terme de ces dernières reste limitée. En effet, si ces services permettent aux personnes primo-arrivantes d’envisager le court-terme à Bruxelles en leur offrant les informations et ressources uniformisées nécessaires à leur installation, ces personnes peinent à s’y projeter et à imaginer leur avenir sur le moyen et long terme.

En vue de maximiser l’impact de ces services couvrant une partie des besoins des personnes primo-arrivantes, le projet de recherche-action participative CAMIM – « Co-créons un Meilleur Accueil et une Meilleure Intégration des Migrants à Bruxelles » – a été mis en place. Il est le fruit d’une collaboration entre VIA asbl et le centre de recherche GERME de l’ULB, soutenue par un financement Co-create d’Innoviris. Le projet CAMIM s’est concentré sur une dimension peu explorée : celle de la subjectivation des pratiques des services d’intégration, en permettant aux personnes primo-arrivantes de devenir sujets de leurs propres parcours à travers l’expérimentation d’activités répondant à leurs besoins individuels. Il visait à répondre à la question de recherche suivante :

« Comment maximiser l’impact des services à destination des migrants en Région de Bruxelles-Capitale ? »

Afin de répondre à cette question, ce projet a reposé sur un double processus de co-création et de co-recherche rassemblant des personnes primo-arrivantes, des travailleurs sociaux de VIA asbl ainsi que deux chercheurs de l’ULB. En effet, les personnes primo-arrivantes sont souvent considérées comme objet des politiques qui leurs sont destinées. Elles sont pourtant expertes en matière de migration, connaissent les défis que pose la phase d’intégration et sont les plus à-mêmes de définir les services adaptés à cette réalité. A travers la co-création (définition et mise en place de l’action) et la co-recherche (analyse de l’action), le projet CAMIM a veillé à ce que les personnes primo-arrivantes soient inclues dans l’ensemble des phases de son élaboration. Concrètement, elles étaient invitées à identifier, imaginer, designer, améliorer, évaluer et analyser l’impact d’activités complémentaires au parcours d’accueil. Et cela, collectivement et conjointement avec les autres acteurs du projet en considérant que chaque acteur possède une expertise spécifique reposant sur des savoirs à valeurs égales, qu’ils soient expérientiels, professionnels ou académiques (Chevalier & Buckles, 2013 ; Popa et al., 2015).

 

Les activités de recherche

La dimension « recherche » du projet CAMIM s’est déroulée en trois temps. Lors de la première phase, il s’agissait d’identifier et imaginer avec les personnes primo-arrivantes des activités complémentaires au parcours d’accueil et répondant à leurs besoins individuels. Après avoir énuméré un certain nombre d’idées d’activités, trois d’entre elles ont été retenues et développées au regard de leur pertinence par rapport aux besoins des personnes primo-arrivantes et de leur faisabilité :

 

Une fois ces trois activités mises en place, les personnes primo-arrivantes inscrites chez VIA ont été invitées à y participer de manière libre et volontaire.

Dans un deuxième temps, des espaces de réflexivité ont été développés en vue d’analyser l’impact des activités expérimentées sur les parcours de vie des personnes primo-arrivantes y prenant part (co-recherche) ainsi que de réfléchir à leur amélioration (co-création). Les participants aux activités désireux de s’investir dans ce processus réflexif étaient ainsi conviés aux moments de recherche qui ont pris deux formes différentes : des moments de recherche collectifs et individuels. Après les premiers mois de réflexivité avec les co-chercheurs, deux thématiques centrales ont émergé comme nécessitant une analyse plus approfondie :

  • L’impact des activités sur l’activation des ressources des personnes primo-arrivantes, au travers du mécanisme de la reconnaissance (Honneth, 1995) ;
  • L’impact des carrières migratoires (Martiniello & Rea, 2014) des personnes primo-arrivantes sur leur (non-)participation aux activités.

Finalement, lors de la troisième et dernière phase du projet, ces deux thématiques ont été creusées au sein de ces espaces réflexifs afin de répondre à la question de recherche.

 

Réponse à la question de recherche

Il ressort des moments de co-recherche un réel besoin de construction d’activités-ponts entre le parcours d’accueil et les opportunités qu’offre la société. En effet, si le parcours d’accueil permet d’accéder à des informations et un accompagnement individualisé essentiels à la compréhension et l’installation en Belgique, il ne permet pas à lui seul l’épanouissement en société de l’ensemble des personnes primo-arrivantes. La participation à des activités permettant la reconnaissance et la gratification de leurs ressources se révèle être une étape essentielle de l’intégration pour certaines d’entre elles.

En effet, durant la phase d’installation, les personnes primo-arrivantes sont amenées à prendre une multitude de décisions simultanées – liées aux démarches administratives, à la recherche de logement, d’activités, de formation, de profession, d’écoles pour les enfants, etc. – ayant un impact décisif sur la suite de leur parcours en Belgique. Cela, au sein d’une société d’accueil qu’ils ne comprennent pas encore, empreinte d’une langue, d’une culture, et d’un système qui leur sont inconnus. Il s’agit souvent d’une période vertigineuse marquée par une perte de contrôle en ce qui concerne leur capacité à communiquer, à se déplacer, à agir sur leur sort et celui de leur famille. Couplée au regard empreint de préjugés que peut porter la société d’accueil à l’égard des personnes migrantes, cette perte de repères nourrit un sentiment d’incapacité. Les personnes primo-arrivantes témoignent à cet égard ne pas se sentir en mesure de prendre les bonnes décisions concernant leur avenir et faire face à de nombreux blocages. Le bagage important avec lequel ils arrivent en Belgique ne se voit in fine pas ou peu mobilisé dans la construction de leurs projets en Belgique.

Dans un premier temps, les personnes primo-arrivantes trouvent chez VIA des informations essentielles à leur compréhension et appréhension du pays, mais pour certaines d’entre elles, cela peut se révéler insuffisant pour lever les blocages construits au moment de l’arrivée. Les activités du projet CAMIM se présentent alors comme espace transitoire, entre le parcours d’accueil et les opportunités de participation en société. Elles contribuent à l’activation des ressources des personnes primo-arrivantes en leur facilitant l’expression de celles-ci – à travers leur mise en récit ou leur mise en pratique – et en offrant des opportunités de création de capital social (Bourdieu, 1984) – avec des pairs ou avec des tiers – pouvant reconnaitre la valeur de ces ressources. Elles permettent ainsi de renforcer leur confiance en leur capacité d’agir et de se réaliser. Selon leur carrière migratoire, les personnes primo-arrivantes se tourneront ainsi vers une activité répondant à leur besoin de mise et récit ou mise en pratique de leurs ressources, et de création de capital avec des pairs ou des tiers. Concrètement, suite à leur participation aux activités, les personnes primo-arrivantes ont témoigné réaliser de nouvelles actions au quotidien : faire des démarches administratives sans l’interprétation d’un proche, commencer un loisir, trouver un emploi, entamer une formation, échanger avec les voisins, renégocier des dynamiques familiales, etc.

Les résultats de recherche démontrent ainsi que la subjectivation des services à destination des personnes migrantes permet effectivement d’en maximiser l’impact. Une subjectivation qui se joue à deux égards. Premièrement, en donnant la possibilité aux personnes primo-arrivantes de participer de manière spontanée à des activités qui répondent à leurs besoins individuels de valorisation et reconnaissance de leurs ressources. Cette participation ou non aux activités se doit d’être un choix libre au regard de leurs profils, de la nature des ressources qu’elles ont à disposition, de leurs besoins et de leurs aspirations. A cet égard, d’autres activités que celles expérimentées dans le cadre du projet CAMIM pourraient sans aucun doute remplir ce même objectif. Deuxièmement, cette subjectivation doit être à l’œuvre dans le processus d’émergence et d’organisation de ces activités. Considérer et valoriser l’expertise qu’ont les personnes primo-arrivantes en matière d’intégration présente un double avantage : d’une part, innover en matière de services en maitrisant le risque pris étant donné qu’il s’agit de services mis en avant par les personnes qui en feront usage, et d’autre part, rendre ces personnes actrices de leur destin plutôt que dépendantes des structures d’aide aux migrants.

In fine, les activités expérimentées dans le cadre du projet CAMIM permettent d’apporter une véritable réponse aux besoins de la Région de Bruxelles-Capitale en matière d’inclusion des personnes primo-arrivantes, en partant et en valorisant leurs besoins et ressources disponibles et mobilisables sur le territoire. Elles permettent de renforcer les services existants en instituant les conditions d’usage des ressources qui leur sont mises à disposition, à savoir, des espaces de subjectivité.

 

Bibliographie

Bourdieu, P. (1980). Le capital social : Notes provisoires. Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 31, 2-3.

Chevalier, J.M., & D.J. Buckles. (2013). Handbook for Participatory Action Research, Planning and Evaluation. SAS2 Dialogue.

Honneth, A. (1995). The Struggle for Recognition: The Moral Grammar of Social Conflicts. Polity Press.

Martiniello, M., & Rea, A. (2014). The concept of migratory careers: Elements for a new theoretical perspective of contemporary human mobility. Current Sociology, 62, 1079-1096. https://doi.org/10.1177/0011392114553386.

Popa, F., Guillermin, M., & T. Dedeurwaerdere. (2015). A Pragmatist Approach to Transdisciplinarity in Sustainability Research: From Complex Systems Theory to Reflexive Science. Futures, 65:45–56. https://doi.org/10.1016/j.futures.2014.02.002.